Mon histoire de femme qui traverse la poliomyélite Par Colette Jean

Nous sommes en 1963, c’est le printemps et tout reluit de feuillages et de fleurs multicolores, l’eau ruissèle derrière chez nous. C’est la nature qui se réveille après un long hiver froid et rigoureux. Rien ne laisse jamais tramer que ce printemps viendra bouleverser ma vie à jamais.

C’est le mois de MAI. Il a fait une magnifique journée de soleil et je me suis donnée à cœur joie avec mes frères et ma seule sœur à l’époque. Nous avions une acre de terrain et donc un grand parc d’amusement naturel en plein air. Le ruisseau coule et les grenouilles sautent de partout. J’essaie d’en attraper une pour faire comme mes frères et jouer avec elle. Plusieurs activités dans la journée m’ont amené à être au bout de mes forces et de voir dire à ma mère : « Maman, je suis fatiguée. J’ai mal à la tête et j’ai mal au cœur. » Il était 9 h du soir ! Il faut dire que c’est un peu tard pour une jeune fille de 3 ans à peine. Elle me dit donc d’aller me coucher et me reposer.Ce que je fis !

C’était ma dernière journée où j’ai marché. Dès 6 heures du matin, je demande à mon père, qui se levait tôt pour aller à l’usine, de venir m’aider à me lever. Il croyait que je m’amusais ! Il me dit de ne pas faire des choses pareilles. Je levais ma jambe avec mes mains et je la laissais tomber sur le lit. Quand il s’aperçoit que ce n’est pas une blague, il a réveillé ma mère et j’ai été emportée à l’hôpital près de chez nous. En me voyant, le médecin a dit : « il faut la transférer à l’Hôpital Ste-Justine de Montréal. Votre fille a contracté la poliomyélite. » Bang ! Un coup de massue sur la tête de chacun de mes parents. Le médecin enchaîne : « Y a-t-il d’autres enfants dans la famille ? Si oui, il faut les vacciner immédiatement. Allez les chercher ! » Mes frères se souviennent encore de la grosse piqûre sur leurs fesses !!! Ma sœur aînée (qui est jumelle avec un de mes frères) leur dit que ce n’est pas si pire que ça… Elle constatait que pour moi, c’était très difficile ainsi que pour mes parents.

Les mois qui ont suivi et l’année suivante ont failli me coûter la vie et l’abandon. Je me retrouvais seule, sans famille à mes côtés, sans mes frères et ma sœur, ma maman, mon papa et ma grand- mère maternelle qui vivait avec nous. Cet éloignement m’a marqué à vie au fer chaud !

Il est très difficile pour les parents de voir son enfant éloigné, et pour l’enfant, d’apprendre à se reconstruire seul. Trouver ses propres repaires et se trouver des amis avec qui passer le temps et traverser l’épreuve.

De très bons amis à mon père qui travaillaient avec mon père a l’usine de tissage La PATON, ont offert du transport tous les dimanches de Sherbrooke à Montréal, afin que je puisse voir mes parents et qu’ils puissent me rendre visite. Ma joie était profonde de voir ma maman et mon papa qui passaient toute la journée avec moi. Ils m’apportaient dehors avec de grosses couvertures, malgré les 25 Celsius dehors, afin que je retrouve un semblant de vie normale… loin des microbes. J’ai failli trépasser l’autre bord, à trois reprises. J’ai attrapé plusieurs maladies infantiles, car mon système humanitaire était très affaibli.

Un jour, ma mère demande au médecin ce qu’il faisait avec moi durant la semaine. Il a répondu : « votre fille est tellement faible, elle ne passera pas la prochaine année… » et ma mère leur dit d’un ton certain : « est-ce que vous sortez ma fille dehors le jour ? Elle a besoin d’air frais et de se changer les idées. Trouvez-lui une infirmière qui saura la divertir et l’amuser un peu. »

Ce fut des mots très pesants auxquels les médecins de Ste-Justine ne savaient pas quoi répondre.

Maman leur dit : « Je veux sortir ma fille pour une semaine. Si je n’y arrive pas avec tout l’amour que nous avons pour elle et bien je vous la ramènerai et nous discuterons de son devenir. Elle a besoin de voir sa famille. »

Le médecin responsable a signé ma sortie pour une semaine ! Lorsque je suis retournée à l’hôpital la semaine suivante, le médecin ne me reconnaissait pas. Qu’avez-vous fait de votre fille ? Ses joues sont toutes roses, elle a bonne mine, elle a repris des forces et elle est toute pimpante ? Ma mère a répondu : « C’est simple docteur, nous l’avons sorti dehors, nous l’avons assise dans le bac à sable des enfants, elle a joué avec les camions de ses frères et les poupées de sa sœur, elle s’est baignée et…. Nous l’avons tout simplement aimé ! » Il aurait dit à mes parents qu’il ne pouvait plus rien faire de plus pour moi. Le médecin nous a retournés à la maison et je ne suis plus jamais allée à cet hôpital de toute ma vie. L’AMOUR a régné pour nous tous !

J’aimerais vous expliquer le phénomène d’accompagnement des amis de mon père. La solidarité était populaire dans ce temps et à de très hauts niveaux. Cet ami et sa femme ont été pour moi une délivrance chaque semaine. Sans eux, je ne serais plus de ce monde. Ils ont été d’une stimulation stupéfiante pour moi et mes parents. Je voulais tellement les remercier. Je les ai perdus de vue, car après mon retour à la maison, je ne les ai plus cherchés. Non pas par égoïsme, mais j’avais trouvé mon nid familial. Papa et maman les voyaient toujours, mais ils ne m’en parlaient pas. Ils avaient choisi de regarder devant !

La vie nous réserve parfois de grandes surprises. Un triste soir, lors des funérailles d’un ami décédé, il y a environ 5 ans, je fus la rencontre d’un groupe exceptionnel. Ils étaient assis pas très loin de moi, bavardant de tout et de rien. Soudain, un nom a attiré mon attention : M. Normand Ainslé. Je tourne la tête et je regarde cet homme. Il est heureux et jase avec ses amis. Je décide de l’aborder pour lui demander s’il connaissait M. Normand Ainslé.

Il dit « c’est moi ! » J’étais émue et je me suis présentée en lui disant « c’est moi Colette Jean, pour qui vous avez donné tous vos dimanches à mon père et ma mère afin qu’ils puissent venir me voir à Ste-Justine » !

Stupéfaction… Nous sommes tous les deux ébranlés… je lui saute dans les bras pour enfin lui dire merci pour tout ce qu’il a fait pour moi et ma famille. Je ne savais pas, si un jour je pouvais rencontrer cet homme qui m’a tant aidé, qui a été là pour moi à 100 %. Je peux maintenant dire que c’est une chose accomplie. Je coche oui à la VIE.

Aujourd’hui, 57 ans plus tard, je me dis que je n’ai pas le droit de gaspiller ma vie pour des choses futiles ou malsaines. Cet homme m’a donné la vie par un geste du cœur et aussi mes parents et ma famille (je n’oublie pas mon autre sœur qui est arrivée 10 ans après ma naissance/cadeau de la vie) et je retourne ce geste à d’autres cœurs comme pour DONNER AU SUIVANT.

Je profite de la vie, je pratique du sport, je me maintiens le plus possible en bonne santé, je sors, je vis et vois des amis et je garde un équilibre de bienveillance et de sérénité comme sur l’océan. La légèreté des fleurs du printemps m’anime à nouveau !

J’essaie d’apprendre du silence et calme de la montagne !

Elle me parle…

Par Colette Jean